Expositions
17 Janvier - 16 Mars 2007
Avec Dieter Appelt, Valérie Belin, Katharina Bosse, Denis Darzacq, Rineke Dijkstra, Patrick Faigenbaum, Esther Ferrer, Jakob Gautel, Pierre Gonnord, Seydou Keita, Edouard Levé, Marylène Negro, Anton Olshvang, Roman Opalka, Patrick Tosani
Oeuvres du Fonds National d'Art Contemporain
La globalisation de l'économie et des échanges, parallèlement aux développements des manipulations génétiques, provoquent l'angoisse de voir émerger un modèle unique faisant fi des particularités et de l'identité individuelles.
Ce phénomène demeure particulièrement prégnant dans le domaine artistique, notamment depuis que la science avec ses techniques telles que les greffes, le morphing, le clonage, a de surcroît brouillé les cartes de cette analyse identitaire ; on comprend donc mieux pourquoi les artistes et tout spécialement ceux qui usent de la photographie ont engagé une réflexion approfondie sur ce sujet dès la fin des années 1980.
S'il est clair que depuis l'origine la photographie porte en elle la notion de preuve - la représentation précise du réel ne peut dire que le vrai - les travaux de Guillaume Duchenne de Boulogne sur l'expression des passions ou ceux d'Alphonse Bertillon sur l'identification des criminels, soulignent qu'elle fut une auxiliaire incontournable pour définir l'âme et le corps, et donc, pense-t-on, l'identité de l'individu.
Car si nous sommes devenus une compilation de fiches numériques, celles-ci demeurent inutiles sans photographie ; immatriculés dès notre naissance nous accumulons au cours de notre existence les codes chiffrés : numéro de passeport, de compte bancaire, numéro d'ordre électoral, carte de transport... ; nous vivons au rythme binaire de la transcription informatique de notre identité jusqu'à devenir des êtres anonymes surcodés auxquels seule la photographie apporte la preuve irréfutable de l'existence.
Et pourtant ces documents photographiques que l'on ne cesse de nous réclamer suffisent-ils à expliciter qui nous sommes ?
En fait l'une des questions essentielles que recouvre la notion de ressemblance, demeure sans conteste notre capacité à modifier, volontairement ou non, notre apparence au fil du temps. Pour Rineke Dijkstra la réponse appartient au jeune légionnaire Olivier qui, en l'espace de quelques mois, aura troqué son air de jeune homme ordinaire contre l'autorité d'un officier responsable ; ainsi le temps modifie-t-il non seulement notre apparence mais aussi notre personnalité et l'image que nous en donnons. Chez Esther Ferrer, la question du genre se superpose à celle du changement dans le temps.
Plus dramatique sans aucun doute la proposition de Roman Opalka qui, jour après jour, peint et se photographie suivant un protocole identique : même lumière, même contraste, même frontalité pour énoncer les dommages irrémédiables du temps jusqu'à l'inéluctable disparition. Et pour accentuer la représentation plastique de cette métamorphose involontaire que subit notre visage avant de n'être plus qu'un masque mortuaire, Dieter Appelt représente la fuite du temps en usant d'une bande séquence quasi cinématographique enchâssée dans un cadre de plomb en référence à celui qui scelle le cercueil.
Il convient dès lors d'accroître les indices de reconnaissance en accolant, par exemple, notre patronyme à la représentation de notre être. Edouard Levé suggère l'ambiguïté de la dénomination qui ne peut, à elle seule, authentifier notre existence ou celle de glorieux aînés tels André Breton ou Eugène Delacroix dont certains d'entre-nous sont les homonymes. Pour connaître l'identité de chacun d'entre-nous, il convient d'user de tous nos sens, la vue mais aussi le toucher selon Patrick Tosani.
Alors au milieu de tant d'incertitudes il convient d'accumuler les preuves, de nous définir avec notre image, notre nom mais surtout à l'aide du contexte de notre vie quotidienne, il peut être culturel et familial pour Seydou Keita ou Patrick Faigenbaum. En faisant poser pendant des heures des familles de la vieille noblesse italienne dans leur environnement, Patrick Faigenbaum articule l'identité de chaque individu avec le poids de la tradition dans l'imposant décor des palais familiaux. Enracinés dans leur histoire, ils font penser à des spectres.
Dans un registre plus distancié, Denis Darzacq s'intéresse aux rapports sociaux et à la place de l'homme dans la ville. Pierre Gonnord interroge également notre époque et sonde la dimension humaine en travaillant avec des visages qui appartiennent à des destinées particulières. Le personnage à la marge retrouve ses lettres de noblesse par la mise en scène adoptée dans le portrait.
Anton Olshvang évoque avec subtilité le principe vital de l'homme, sa source de vie, le sang, qui définit son identité qu'il s'agisse hier du malade hospitalisé ou aujourd'hui du soldat blessé en Tchétchénie.
Méfiance toutefois car il suffit de simples mais subtiles modifications de notre apparence pour rendre impossible toute certitude d'identification comme l'évoque avec un malin plaisir et une profonde surprise Jakob Gautel alors qu'il scalpe délicatement les images iconiques de Marylin et Greta, stars si familières.
Alors peuvent se combiner des jeux de rôle où chacun avoue qu'il est lui-même mais se veut un autre, rejette le sexe que la nature lui a donné, se forge une autre personnalité, se joue de lui-même, se travestit, se métamorphose et détruit à jamais son identité originelle. Valérie Belin interroge l'identité par la surface du visage qui apparaît alors comme désincarné. Considérant que « ce qui se manifeste à la surface des choses est essentiel », elle interroge les apparences notamment dans la série des sosies de Michael Jackson. Katharina Bosse photographie à travers les Etats-Unis les actrices qui pratiquent le burlesque, une sorte de "striptease" démodé, où l'accent est mis sur la suggestion et non sur la nudité. Dans cette identité métamorphosée, le glamour poussé à la caricature devient comique y compris pour les filles qui tentent de l'incarner.
Nombre d'artistes contemporains ont fait des nouvelles donnes scientifiques leur thème d'étude privilégié. Ainsi pour interroger les conséquences de la chirurgie et des traitements hormonaux, Marylène Negro compose cette assemblée d'individus où Elles et Eux ont été transformés en êtres humains asexués, interchangeables, neutres en quelque sorte.
D'après un texte d'Agnès de Gouvion Saint-Cyr