Janvier - Mars 2007
Édith Roux travaille autour des notions de surveillance et de contrôle du territoire : qu’elle s’intéresse aux végétaux qui s’épanouissent en échappant à l’attention de l’urbaniste dans des paysages péri-urbains en Europe (Euroland, 2000), ou aux nouvelles technologies de l’information (comme les puces RFID) et à leur dérive sécuritaire insidieuse (Small Brothers, 2008).
Au cours de sa résidence au CPIF (janvier-mars 2007), dans la continuité d’Euroland, elle a développé le projet Minitopia sur les plantes urbaines qui s’immiscent de façon hasardeuse dans les fissures des murs de béton. Dans une approche documentaire, elle photographie d’abord ces spécimens végétaux. A l’aide du photomontage, elle crée ensuite un univers fictionnel. Par un jeu d’inversion d’échelles, l’homme est miniaturisé et la plante magnifiée.
Dans le néologisme Minitopia (littéralement « petit lieu »), miniature et utopie se superposent. De l’Humanisme aux Lumières, on connaît le destin des Gargantua, Gulliver ou Micromégas. Le rapport d’échelle sert surtout à tendre un miroir déformant aux hommes, à pointer les failles de la société à travers un regard satirique. Le célèbre Voyage à Lilliput (Les voyages de Gulliver, de J. Swift) n’est autre qu’une réflexion sur la nature guerrière de l’être humain.
Dans les photographies d’Édith Roux, les miniatures d’êtres humains sont prises dans des actions dérisoires et démesurées : escalader une portion de mur pour atteindre la plante, monter sur une échelle pour pouvoir la nettoyer, s’emparer d’un jet d’eau pour éteindre un incendie. La fiction bascule alors dans la fable écologique où les êtres humains tentent ainsi de se réapproprier un espace naturel qui leur échappe et pour lequel ils ne sont plus adaptés.
Édith Roux pousse plus loin le trait grotesque : à chaque image sont associés le nom latin de la plante et sa traduction vernaculaire. Ainsi, la mini-citadine, panier sous le bras, sait-elle qu’elle s’apprête à cueillir une carotte sauvage – daucus carota pour les initiés ?
Plus sérieusement, on retrouve dans les titres le nom ruderalia (Lepidium ruderalia ou passerage des décombres et Taraxacum section ruderalia ou pissenlit). Est rudéral ce qui croit dans les décombres. Dans Minitopia, l’image se construit en bandes. Il ne s’agit plus ici des bandes de terre et de ciel d’Euroland mais de strates monochromes, souvent floues, qui laissent entrevoir les failles du paysage en béton, la décrépitude de ces interstices non aseptisés qui ne répondent pas à la norme. Une brèche dans laquelle le végétal s’engouffre.
Audrey Illouz